15 Février 2021
Hier se tenait notre Assemblée Générale, celle là même qui acte l'arrivée au terminus de notre théâtre ambulant.
Cette année, encore plus que d'habitude, est une année singulière. Elle signe pour le Rideau Attelé la fin du Voyage.
Nous n'avons plus la possibilité d'être théâtre ambulant. Avec les normes actuelles, nous sommes obsolètes, dépassés, coulés, ignorés, méprisés, transparents et pour finir inexistants.
Durant toutes ces années, notre sur-motivation avait raison de tous les obstacles, toutes les difficultés. L'adversité nous passait dessus comme l'eau sur les plumes d'un canard, on faisait notre métier quoi qu'il arrive et on était heureux. Pas le temps de s'attendrir sur notre sort, notre énergie c'était les gens.
On ne se posait pas de questions, on était dans l'action et on allait au jour le jour. Il aurait été impossible d'y arriver autrement pour traverser de cette façon ce monde hostile, sans trahir nos convictions les plus profondes et demeurer en cohérence avec nous même.
Aujourd'hui, quand on regarde en arrière, on se demande comment ça a été possible, comment on a fait... avec quatre gamins, cinq chevaux... trente sept ans durant... on est étonnés, voire épatés d'y être parvenu malgré tout. Ceci dit en toute sincérité et modestie. En fait on ne s'en est pas vraiment rendus compte
Aujourd'hui, nous sommes fatigués, un peu usés même: l'espoir n'est plus de l'autre côté de l'horizon, ni la joie de celui ci.
On a traversé un océan déchaîné sur une coquille de noix pendant plus de trente ans, on était des naufragés heureux de voyager comme dit le poète, mais aujourd'hui, après avoir trouvé notre île bergère (on a acheté il y a trois ans un lieu dit qui s'appelle "la Bergerie"), qu'on envisageait d'abord comme un port d'attache, on se rend compte que notre embarcation prend l'eau de toutes parts, que nos voiles sont en loques, nos rames trop petites, que les cargos industriels nous mettent la tête sous l'eau dans leur sillage puants, qu'on a plus de gouvernail et que l'âge nous courbature. La perspective de se faire broyer par des hélices indifférentes et essentielles ne nous tente pas plus que ça... on a changé d'époque, et nous appartenons au passé.
Ce qui a été toute notre vie durant toutes ces années est bien mort maintenant. Il n'est pour nous d'autre alternative que renaître.
Notre île devient notre univers, notre monde à nous, notre retraite, notre refuge, notre forteresse, le dernier rempart où se protéger de la folie des hommes contre laquelle nous renonçons à lutter davantage, et, notre berge rit, comme dirait l'autre moi même ! Une sorte de grève surprise, et salutaire.
De nos jours
Si on est ouvert, c'est qu'on est imprudent
Si on est joyeux, c'est qu'on est inconscient
Si on est gentil, c'est qu'on est idiot
Si on est honnête, c'est qu'on est con
Si on est généreux, c'est qu'on est inadapté
Si on est optimiste, c'est qu'on a rien compris... et si on est tout ça à la fois, alors là c'est louche !
OK, on assume, ceci est un quasi faire-part de renaissance !
Bien sûr, on continuera de faire quelques spectacles deci delà, pour peu qu'on puisse et qu'on nous y invite ... mais plus d'implantations dans les communes, plus de "villages en villages". Nos chevaux ne voyageront plus qu'en vacanciers ... nous perdons notre mode de vie et notre public de patelin.
Ce n'est pas tout à fait la mort du Rideau Attelé, non, mais son immobilisation définitive pour cause de handicap lourd. Plus de jambes, plus de bras, juste encore un peu tête en l'air...On va garder la structure juridique. Qui finira bien sûr par en crever, mais j'aimerais avoir atteint l'âge de la retraite avant. C'est purement mercantile et alimentaire... je me dis qu'il peut bien faire ça pour nous... on lui avait tout donné...
Place à la relève, et la relève va se relever puisque c'est sa raison, pour continuer la route via d'autres chemins, tout reste à inventer.
Il y a au CITI et ailleurs de belles énergies qui ne demandent qu'à avancer, continuer ou éclore, alors foncez, le bonheur est à ce prix, bonne route à tous !
Et voici la dernière photo de la dernière étape du Rideau Attelé, théâtre ambulant. C'était le 8 Novembre dernier.
Pierrot